Lundi 29 octobre 2012. Nous nous réveillons après une nuit plus confortable que la précédente.
La dame n’est plus là pour que nous lui disions au revoir : en effet, elle travaille très tôt le matin.
Il ne reste plus que sa fille, et nous devons nous dépêcher car celle-ci travaille également. Il s’agit de partir suffisamment tôt pour ne pas la mettre en retard.
Après un bon petit déjeûner, nous retrouvons nos vélos, qui ont passé la nuit dehors. Tout est blanc et gelé !
Comme pour l’étape précédente, il y a des photos de moi et de Quentin. Les plus jolies sont de lui. Comme celle-ci.
C’est donc cela qu’on appelle une selle « gel ».
Le guidon aussi est gelé. Je suis vraiment content d’avoir les gants du chasseur…
Je remets une bouteille d’eau dans mon porte-bidon, et dis en plaisantant que j’espère qu’elle ne va pas geler, elle aussi.
Nous démarrons. La maison est juste à côté du canal, et donc de notre belle piste cyclable. Il faut juste traverser à l’écluse.
Alors que nous roulons, Quentin me demande si j’ai remarqué ce qu’il y avait au mur, chez la dame.
Je ne sais pas trop de quoi il parle, car il y avait pas mal de choses au mur.
Il s’explique : il parle du portrait d’un père et de sa fille. Mais pas n’importe lesquels : Marine et Jean-Marie.
Je l’avais effectivement raté.
Que dire… ? Ces gens étaient pourtant si gentils.
Après quelques kilomètres, arrêt forcé : Quentin a crevé.
Pas facile de réparer dans ce froid.
Pour ma part, j’en profite pour boire un peu d’eau, mais en buvant je sens des petits morceaux solides dans mon eau… De la glace ! Je ne croyais pas si bien dire en partant.
Quentin met en œuvre tous ses talents de Bicycle Repair Man. Mais par ce froid, rien n’est facile.
Lorsqu’il a terminé, nous repartons.
Nous croisons un vélo, mais sans cycliste dessus.
Pour l’instant, notre itinéraire est simple : il consiste à suivre le canal en direction d’Épinal, et celui-ci est bordé d’une piste cyclable en permanence.
Lorsqu’il y aura moins de discontinuités (mais quand ?), cette véloroute pourra être vraiment agréable si tous les tronçons sont à la hauteur de celui-ci.
Mais pour cela, il faudra aussi que se développent davantage d’infrastructures autour.
À un endroit, nous devons franchir tant bien que mal un chantier. Les ouvriers, qui ne s’attendaient pas à ce que des voyageurs à vélo passent en cette saison, occupent toute la largeur. Ils s’arrangent pour nous laisser passer.
Nous roulons tranquillement sur la piste en enrobé lisse.
Mais après le passage d’une écluse, le revêtement devient plus inégal, puis s’interrompt complètement.
Nous arrivons, sans avoir rencontré la moindre signalisation, sur un tronçon non aménagé.
Nous trouvons alors un chemin dans le bois, non goudronné mais très roulant, et assez parallèle au canal. Nous y parcourons un kilomètre ou deux.
Mais à la sortie de celui-ci, Quentin constate que son pneu est à nouveau à plat.
Pendant qu’il répare, j’aperçois des personnes qui se promènent à pied. Je vais leur demander si elles savent si le canal comporte une piste cyclable en direction d’Épinal, et à partir de où.
Elles me répondent qu’il y en a bien une, et qu’il suffit que je rejoigne le canal à Chaumousey (juste à côté d’où nous sommes) pour la trouver.
Lorsque Quentin a fini sa réparation, nous prenons donc la direction du village.
Ce pont n’est autre que le canal, qui divise le village en deux. Il est ici à son point le plus haut. De part et d’autre, il redescend : vers Épinal à l’est, et vers la Saône à l’ouest.
J’escalade alors le talus…
Mais pas de piste cyclable à l’horizon ! On nous aurait menti ?
Je demande à un homme, dans son jardin, qui me dit qu’il n’y a pas de piste cyclable pour aller à Épinal et qu’il faut prendre la route.
Je ne comprends pas…
Je rejoins Quentin, qui est parti devant et que j’ai perdu. Je le retrouve et nous prenons la route d’Épinal. Mais tout en roulant, nous apercevons le canal sur notre gauche. Et l’une des deux rives est bien en enrobé neuf et lisse !
Reste à savoir comment nous y rendre, car entre la route et le canal il n’y a que des propriétés privées infranchissables. Et en plus, c’est la rive opposée à la notre qui est aménagée.
Nous finissons par revenir sur nos pas, et trouver dans le village un autre tunnel sous le canal, à la sortie duquel un sentier permet d’accéder au chemin de halage.
Et là, c’est surréaliste : il y a bien à partir d’ici un aménagement en enrobé, neuf et d’excellente qualité. Mais il démarre net, sans la moindre indication ni le moindre accès. Comme s’il fallait attendre que tous les tronçons soient réalisés (quand ?) pour s’en servir.
Même le chemin que nous avons utilisé pour y accéder n’est pas aménagé, en plus de ne comporter aucun panneau.
Après avoir bien ri de cette situation, nous nous engageons donc sur la piste, décorée par les feuilles mortes qu’aucune circulation ne vient chasser.
Au croisement avec une petite départementale, on se demande ce qui est passé par la tête des aménageurs pour inventer une telle signalisation.
En plus du panneau demandant de traverser à pied, la trajectoire normale comporte un sens interdit, et une bande verte invite à aller contourner un îlot par la gauche. Il y a quand même pas mal d’esprits tordus dans ce métier…
Hormis cela, la piste est toujours très belle.
Nous approchons bientôt d’Épinal. Une belle passerelle nous fait changer de rive, et passer de l’enrobé au sable (stabilisé et roulant, mais légèrement boueux par endroits).
Nous n’allons pas véritablement entrer dans Épinal. En effet, ici, notre canal en rejoint un autre, plus important et longeant la Moselle. C’est également un carrefour de véloroutes.
Vers l’ouest, d’où nous arrivons, c’est la véloroute du Téméraire.
Vers le sud (vers Épinal et au delà), c’est la véloroute de la Moselle.
Et vers le nord, c’est la suite… des deux à la fois. Elles sont confondues jusqu’à la frontière.
Vous l’aurez compris, c’est la direction du nord que nous prenons pour nous rendre à Nancy.
Ici, on trouve encore quelques panneaux, non réglementaires et plutôt drôles.
Nous passons sous un joli pont-canal (sur lequel nous aurions pu continuer pour aller à Épinal).
Nous voici bientôt sur un très bel aménagement en enrobé lisse.
Il ne reste plus qu’à le suivre jusqu’à Nancy ? C’est ce que nous verrons.
Pour l’instant, nous le suivons déjà jusqu’à Thaon-les-Vosges où nous faisons quelques courses dans un supermarché.
Nous avons aperçu des panneaux indiquant une maison du vélo. Cela nous intrigue alors nous les suivons. Et ce que nous trouvons nous fait plutôt sourire.
On est plus proche de la cabane à moutons que de la maison, et en plus c’est fermé. Dommage pour nous.
Un parc sera notre aire de pique-nique. Mais dans le froid, c’est toujours aussi désagréable. Je crois que si nous devions voyager longtemps comme ça il faudrait changer de stratégie, quitte à demander à des habitants pour manger notre pique-nique chez eux.
Après un repas rapidement englouti, nous repartons. Nous avons tous les deux extrêmement mal aux genoux, et chaque redémarrage est pénible à cause de cela.
Nous sommes toujours sur une très belle piste en enrobé lisse. Il n’y a aucun panneau, et il faut donc parfois la chercher un peu aux croisements, mais elle existe.
Elle est bordée d’anciens bâtiments industriels qui ont un certain charme.
Tout à coup, au milieu de nulle part, alors que nous suivions une piste en enrobé en contrebas du canal, il n’y a plus rien devant nous.
Juste une pente raide et non revêtue, qui nous ramène sur le chemin de halage non aménagé.
Une fois sur celui-ci, nous comprenons : l’enrobé s’arrête en face de la borne rouge… qui marque la limite entre deux départements.
Un pêcheur nous le confirme : au sud, ce sont les Vosges dont nous venons, et au nord c’est la Meurthe-et-Moselle dont la capitale est notre objectif.
Pendant plusieurs dizaines de kilomètres, nous suivrons ainsi le canal en empruntant tantôt le chemin de halage quand il nous semble praticable, tantôt l’ancienne RN 57 qui lui est parfaitement parallèle mais subit un trafic important.
Évidemment, comme la route et le chemin de halage sont sur deux rives différentes, on ne passe pas de l’un à l’autre comme on veut.
Et parfois il arrive qu’on soit engagé sur un tronçon de chemin qui paraissait praticable et roulant, et qu’il se transforme un peu plus loin en un étroit sentier.
Il faut être très prudents, car les hautes herbes masquent parfois des trous dans la berge, qui sont de véritables toboggans vers le canal !
Mais c’est ça, ou la route et les camions…
Une chose est sûre : la véloroute du Téméraire porte bien son nom.
Mais alors qu’on commence à se rapprocher de Nancy, et après avoir quitté l’ex nationale pour une départemenale à peine plus calme, un panneau attire notre attention. Au milieu des panneaux routiers, un vélo sur fond bleu.
Nous sommes désormais à 15 km du centre de Nancy, et il nous suffit de suivre une boucle entièrement aménagée en enrobé lisse, et jalonnée.
Cerise sur le gâteau : dans cette direction, la boucle comporte de très nombreuses écluses descendantes. Un vrai soulagement pour nos genoux qui n’en peuvent plus.
La nuit tombe quand nous entrons dans Nancy.
Place Stanislas. Objectif atteint !
En approchant de la ville, j’ai appelé mon contact de l’Heureux-Cyclage, qui m’a donné l’adresse de l’atelier Dynamo, où nous devons être accueillis. C’est à deux pas de la place. Nous y arrivons bientôt.
Bilan :
100 kilomètres parcourus, pour cette longue et ultime étape du voyage de deux cyclistes téméraires.
Nous nous souviendrons longtemps de ce voyage qui fut court mais atypique, entre les conditions météo, les nuits improvisées chez des personnes pas vraiment semblables à notre entourage habituel, et une véloroute qui ressemble parfois plus à un no man’s land qu’à un itinéraire touristique.
L’objectif, Nancy et les rencontres de l’Heureux-Cyclage, est atteint.
J’étais déjà venu dans cette ville pour les RMLL 2006, mais à l’époque c’était en voiture. Désormais je peux ajouter cette ville à la liste de celles que j’ai atteintes à vélo.
Je n’en dirai pas plus sur les rencontres, car si je souhaitais raconter ce voyage, comme tous mes voyages à vélo, je ne vais pas raconter l’intégralité d’une semaine qui fut riche, intéressante, et joyeuse. Des informations, des photos et des comptes-rendus des différentes rencontres du réseau se trouvent facilement sur internet.
En deux mots, nous avons vu des bricoleurs et des passionnés de la France entière, et abordé des sujets aussi divers et variés que la mécanique, la soudure, l’aspect social des ateliers vélos et leur responsabilité écologique, la cartographie libre avec OpenStreetMap… et tout ça dans la convivialité et la bonne humeur.
Pour l’anecdote, j’étais parti sans gants ni écharpes, mais après les gants du chasseur j’ai trouvé une écharpe toute neuve dans Nancy, sur un parking. C’est devenu mon écharpe de tous les jours car la mienne se faisait vieille.
En guise de conclusion, avaient lieu le samedi une mémorable vélorution dans les rues de Nancy et une soirée d’excellents concerts.
Malheureusement, la pluie a accompagné le froid ce jour là, et le lendemain je me suis réveillé malade et avec de la fièvre. J’ai donc raté l’assemblée générale du réseau (qui avait lieu le dimanche matin), et je me suis traîné difficilement jusqu’à la gare pour rentrer à Besançon en train, épuisé mais content de ma semaine.
Pour Quentin, ce fut différent : alors que mes genoux se remettaient de leurs émotions progressivement au cours de la semaine, les siens sont restés tellement douloureux qu’il est rentré à Besançon en train au bout de deux jours et a raté l’essentiel des rencontres. Pire : il n’a ensuite pas pu refaire du vélo pendant un ou deux mois, car les douleurs revenaient immédiatement.
Alors, quel bilan faire de ce voyage ?
Pour moi, c’est positif, mais je pense que je ne retenterai pas l’expérience de partir en saison froide pour plus d’une journée. Ou alors j’irai consulter un médecin du sport avant, afin d’obtenir des conseils au sujet de mes genoux.
Pour le reste, je suis très content de la façon dont tout s’est déroulé.
Je ne parlerai pas à la place de Quentin, mais je ne serais pas surpris que pour lui ça soit négatif. Avoir dû quitter les rencontres si rapidement, et être privé de vélo si longtemps, n’a pas dû être facile à vivre. En ville, ne plus pouvoir faire du vélo, c’est être condamné à perdre son temps en bus et en voiture et c’est réellement insupportable lorsqu’on bouge beaucoup comme c’est notre cas.
Rassurez-vous : tout cela est derrière lui, et il a repris le vélo quotidiennement depuis.